Vous jouez avec votre bébé, il vous fait des risettes, et tonton Machin s’exclame « Ahlala ils ont la belle vie ces bébés. Tout le monde s’occupe d’eux, ils n’ont rien à faire, ils ont des vêtements tout doux, ils mangent quand ils veulent, ils ont de la chance, hein ? ».
Alors, tonton Machin (personnage totalement inventé soit dit en passant), laisse-moi donc te faire un petit jeu de rôle.
Allonge-toi, ferme les yeux, suis ma voix.
Tu es petit. TRES petit. Tu es un bébé.
Comme tu es un bébé, il y a de fortes chances pour que tu soies mignon.
Dans le ventre de ta maman, tu es tout nu, recroquevillé sur toi-même. Il fait chaud, il fait doux, il y a plein de bruits assourdis, et tu manques franchement de place. Alors, tu sors.
Dehors, il fait froid, tu es manipulé dans tous les sens. Heureusement que ton oreille interne ne fonctionne pas comme celle des adultes. Tu ne vois pas grand chose. Tout est flou, tu distingues surtout les lumières, un peu les mouvements, et les odeurs. Comme un tourbillon. Ca te fait un choc tout de même, mais tu es fatigué aussi, alors tu t’endors rapidement, peut-être bercé sur le corps de ta maman où retrouves la chaleur, et un peu les bruits que tu connais.
Les jours, les semaines passent.
Tu as découvert la faim, le froid, le chaud, l’éblouissement, la soif, l’ennui.
Tu as découvert que la seule chose que tu puisses faire pour signaler un problème, c’est crier.
Tu y vois de mieux en mieux.
Tu es toujours manipulé en tout sens. Soulevé, reposé, habillé, déshabillé, changé, baigné.
Comme tu es mignon, tout le monde veut te prendre dans ses bras. Te faire des câlins. Des bisous qui claquent dans tes oreilles délicates. Tu navigues d’un parfum à un autre sans reconnaître ceux que tu connais : papa, et maman.
Tes vêtements sont tout doux c’est vrai. Sauf que tu te fais caca dessus. Tout à coup tu te sens inconfortable, ce n’est vraiment pas agréable, ça gène, alors tu cries. Au secours, venez me changer !
Parfois on te comprend tout de suite. Parfois tu restes avec ta couche sale pendant de longues minutes parce que ton cri n’a pas été compris.
Tu dois également parfois patienter quand tu as faim.
En fait, tu dois très souvent patienter. Attendre, répéter, jusqu’à ce qu’on ait compris ce qui te chagrine. Tout ce que tu peux faire, avec crier, c’est attendre.
Quand, plus tard, tu convoites un objet, et que tu ne peux pas encore ni le nommer ni aller le chercher, encore une fois, tu dois attendre. Patienter. Essayer de te faire comprendre.
Car tu es dépendant. Pour tout. Pour ta couche, pour tes vêtements trop chauds ou pas assez. Pour manger. Et même parfois pour dormir, car ce n’est pas toujours facile de trouver le sommeil. Et pour téter aussi, juste pour sucer un peu, tu ne peux pas le faire tout seul.
Tu ne peux pas soulager une douleur en testant tout un tas de positions. Tu ne peux pas allumer la lumière si un cauchemar t’a fait peur. Tu ne peux pas lire une histoire ou chanter une chanson pour te bercer. Tu ne peux pas te servir un verre d’eau quand tu as très soif. Tu ne peux pas éteindre la télévision quand tu es fatigué et que tu as envie de calme. Tu ne peux pas demander aux gens de parler moins fort.
Alors imagine, tonton, imagine. Imagine pendant une journée. Imagine que chaque geste que tu fais, par envie, ou par besoin, tu soies obligé de le demander, et que tu ne puisses pas parler. Joue donc à ça avec ta femme. Et viens me dire après, si c’était une bonne journée.
Alors oui, tout le monde s’occupe des bébés, ils ont des vêtements tout doux, ils n’ont rien à faire que de se faire servir. Oui c’est vrai, tout les émerveille, ils sont curieux du monde et ont envie d’apprendre, s’amusent d’un rien. Oui ils ont plein de câlins, d’amour et d’attention.
Mais moi je crois que, peut-être même plus que notre amour, nos bébés méritent notre compassion.
(La photo est tirée de cette page du site Casafree.)